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Mais des voisins furieux font taire ces approbations. Des coups de poing sont échangés. Des gens tombent sous cinquante agresseurs. Et la foule, de nouveau, semble unanime. Pourtant deux hommes se sont détachés d’elle, sont venus auprès des philosophes.


épictète

Voici deux braves qui veulent aussi mourir pour ne pas abandonner tout l’honneur aux chrétiens. Mais laisse tomber ces pierres, peuple généreux qui, trompé un instant par des fous et des misérables, comprends vite ton erreur et leur mensonge. Et il n’y aura d’honneur que pour toi, peuple.

Hélas ! les cris sont comme des mains furieuses qui entourent, qui agrippent, qui déchirent l’étoffe des paroles. Un mot parfois leur échappe, que son isolement prive de force et de sens. Les phrases qui, entières, avec leurs nobles plis, inspireraient peut-être une émotion respectueuse, ne sont que lambeaux déchiquetés, loques informes, haillons ridicules, et dont on rit.
Et voici que le peuple chante de nouveau, par la grande clameur unanime, son âme de démence et de haine :

Mort aux ennemis des dieux.

Mais Serenus, tenant de la main gauche Serena, fait un pas vers la foule. Et il lève la droite. Le peuple, intéressé, les regarde.
Des réflexions s’échangent :

Qu’ils sont beaux ! Et comme ils ont l’air de s’aimer !

On leur crie :

Venez ! venez ! Vous êtes trop beaux pour mourir. Vous n’avez pas vidé la coupe des baisers.


serenus

Mort aux ennemis des dieux ! Ce cri…


la foule

Oui, oui, tu as raison Mort aux ennemis des dieux. Parle, toi.