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Quand je dis : « Le sage seul est heureux, » le peuple se représente un bonheur fait d’or, de viandes, de vins et d’esclaves ; et il m’accuse de mentir. Toi, tu sais que je dis vrai et que le bonheur ne se compose point d’éléments grossiers. Parce que le mot bonheur est entendu de beaucoup dans un sens bas, de quelques-uns même dans un sens criminel, est-ce une raison pour que nous négligions de proclamer le bonheur du sage ? Quand je dis que le méchant est esclave, le peuple ne comprend point. Car il pense que César ne porte jamais de chaînes, ne reçoit pas de coups de fouet, n’obéit pas à des ordres donnés d’une voix dure. Et le peuple rit de moi. Mais toi, tu sais que le méchant est esclave et tu ne m’appelles pas menteur quand mes paroles — homme, je n’ai que des paroles humaines — dressent devant des yeux trop naïfs des images trompeuses et ridicules. Pourquoi me reproches-tu donc de parler des dieux qui sont, comme tu reprocherais à un enfant de parler des dieux qui ne sont pas ? Tous les mots ont été volés par les apparences Nous devons les leur reprendre et les rendre aux vérités.


serenus

Cependant…


épictète

Depuis longtemps la sottise a tué tous les mots et le mensonge a enseveli les cadavres les plus nobles dans des tombes de boue. Mais le sage n’est pas un muet. Chaque fois qu’il a quelque chose à dire, la puissance de sa sincérité ranime pour un instant les paroles dont il a besoin et les redresse.


serenus

Quand tu dis « dieu » pour désigner quelque chose qui n’est pas dieu, je crains que le mot traîne dans ton esprit un reste des haillons populaires, Un dieu est toujours une idole.