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vers un bruit grandissant. Une litière approchait entourée de nombreux esclaves.
Un gros homme descendit pesamment de la litière. C’était le sénateur Caïus Trufer, qui se vantait de suivre la doctrine d’Épicure. Seules, ses paroles le proclamaient grossièrement philosophe. Tout son extérieur disait vanité, sottise, débauche et crapule. Il faisait épiler avec soin les poils pauvres qui essayaient de voiler l’ignominie grasse de sa lèvre et de son triple menton. Ses vêtements différaient de ceux d’Épictète et d’Arrien par la richesse des étoffes et par la forme. Sur la tunicule blanche, simple, ceinturée d’une corde, les deux stoïciens portaient le pallium modeste des philosophes. Caïus Trufer revêtait son ventre monumental et ses jambes éléphantesques de deux amples tuniques séparées par la toge. La tunique supérieure portait, large bordure d’orgueil rouge, un laticlave aux dimensions excessives. Les gros doigts informes de l’imbécile se chargeaient à chaque phalange d’un anneau alourdi de pierres.
Les vrais épicuriens repoussaient cet homme avec dégoût. Mais lui répétait souvent, en se l’appliquant, le mot du poète Horatius Flaccus : « Je suis un porc du troupeau d’Épicure. » Le haut de son visage fuyait comme une lâcheté ; le bas, épilé, gras, énorme, avançait comme une avidité lourde. Pour toutes ces raisons, on lui donnait un surnom qu’il aimait, Porcus.


porcus

Par tous les dieux qui n’existent pas, je commençais à m’ennuyer. Je suis heureux de rencontrer le vénérable Épictète… Vous, esclaves, restez en arrière. Un peu de marche fait du bien à la santé et excite l’appétit. Puisque je trouve des frères de philosophie et d’exil — encore qu’ils n’apprécient pas à sa valeur Épicure, divin pour avoir supprimé les dieux et pour nous avoir enseigné l’indéfectible sagesse des animaux — je veux causer avec eux.

Épictète dédaignait de répondre et peut-être d’entendre. Mais