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épictète

Un jour peut être, au moment où tu sortiras de ta maison, une tuile détachée du toit tombera sur ta tête. Dans l’heure qui précédera ta mort, tu connaitras la tuile, mais elle t’ignorera toujours. Vois ma grande bienveillance, esclave qui te proclames inférieur à une tuile et à qui je daigne, moi, homme, parler.


le préteur

Pourquoi, en effet, me parles-tu ? Je ris de tes paroles. Je ne dirais rien à la tuile. Subis-moi comme tu subirais une pierre.


épictète

C’est ce que je fais. Mais je t’ai déjà dit que je dois parler aux dieux et me parler à moi-même. Quant à toi, tu n’entends pas plus mes paroles que si tu étais un être sans vie. Mais certaines surdités ne sont que des lenteurs à entendre. Le chemin est parfois long de l’oreille à l’esprit. Peut-être demain ou dans dix ans, une de mes paroles soudain vivra, sera entendue, éveillera l’homme qui dort en toi. C’est pourquoi les dieux m’ont ordonné de parler, ô sourd d’aujourd’hui qui risques d’entendre plus tard… Et maintenant porte-toi bien. Je quitte ce pays avec indifférence : je retrouverai partout les dieux et Epictète.