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d’Historicus, de Porcus et de Pierre, tous portent la barbe philosophique.
C’est, sur toute la place, un vaste bavardage incohérent. Il y a des points où s’étale et bruit une gaité grossière ; ailleurs, parmi des sourires affectés ou vaniteux, on échange mille pédanteries ; ici on déclame avec des gestes tragiques ; là on se moque et bras et paroles s’agitent comme des parodies. Vers le milieu du forum, un groupe nombreux avance, recule, flotte, tournoie comme une bataille ; des coups s’y échangent, en effet, et des injures. Et tout cela forme une rumeur intolérable, la rumeur d’un peuple de fous.
Les costumes font aux yeux un brouhaha aussi désagréable. Toutes les formes, toutes les couleurs se heurtent et hurlent. On rencontre le laticlave emphatique et les brodequins noirs auprès de la saie des esclaves. Au milieu des rires et des huées, un fou marche couvert de la tunique palmée. Et il crie : « Suivez mon char, ô Platon, ô Aristote, ô Zénon, ô Épicure, ô tous les rois des philosophies que j’ai vaincues. Car je suis le César de la vérité et je solemnise en une seule fois les mille triomphes qui me sont dus. »
On remarque les cyniques. Sans autre vêtement que le manteau jeté comme une peau de bête, ils vont l’épaule droite découverte. Leur tête se dresse raide et pâle comme un pavot sec. Ils regardent avec une insolence triomphante et semblent persuadés que leur pallium crasseux est la dépouille même du lion de Némée. Et le bâton noueux que tient leur main, ils le considèrent avec complaisance comme une massue qui viendrait d’écraser des monstres. De temps en temps ils ont un mouvement qui déplace sur leur dos la besace. Ce mouvement, toujours le même, a pourtant des éloquences diverses : tantôt il vante la sobriété du cynique, tantôt il blâme l’avarice du siècle. Des académiciens élégants et parfumés marchent à petits pas timides. Des pyrrhoniens se couvrent, indifférents, de n’importe quelle étoffe ramassée n’importe où. De toute la cohue s’élève une odeur infâme, un charivari de mille écœurements qui, comme la rumeur grandissante et comme les vêtements bizarres,