Page:Ryner - Les Chrétiens et les Philosophes, 1906.djvu/21

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sonne ; je n’accuse personne. Nul ne me fait de mal et je n’ai point d’ennemi, car il ne peut rien m’arriver de nuisible.


le préteur

Pauvre fou que César peut tuer tout à l’heure…


épictète

La nature désire que je meure, comme elle destine à la mort toi, César et tous les hommes. C’est une de ces choses indifférentes, qui ne dépendent point de moi. La nature, qui m’a prêté la vie, peut me réclamer ma dette par l’intermédiaire de César, de la fièvre, d’une bête de la forêt. Que m’importe le serviteur qu’elle choisit ? C’est l’affaire de ma créancière, non la mienne. Moi, je suis toujours prêt à payer.


le préteur

Mais il dépend peut-être de toi d’apaiser César.


épictète

Ce qui dépend de moi, c’est de ne point prier, de ne point pleurer, de ne point crier, de ne point me tourmenter ou me troubler. Tout ce qui est né, je le sais, doit mourir C’est la loi générale. Il faut donc que je meure. Je ne suis pas l’éternité ou l’immensité. Je ne m’indigne pas de ne pas être partout ; pourquoi m’indignerais-je de ne pas être toujours ? Il m’est indifférent d’être à Rome ou à Hiéropolis ; il m’est indifférent d’être le vivant d’aujourd’hui ou le vivant de demain. Je suis un homme, une partie du tout, comme l’heure où je te parle est une partie du jour. Cette heure est venue et elle passe ; je suis venu et je passe. Pourvu que l’heure soit noble, la manière de passer est indifférente. Que les marais pontins me tuent par leur fièvre où César par son glaive, ce détail ne me regarde pas. Et je n’ai à honorer ni César ni la fièvre.


le préteur

Dites à moi et dans le tête à tête, tes folies sont trois fois