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épictète

Aristote a répondu à Platon comme un aveugle répondrait à un clairvoyant. Il a nié ce qu’il ne voyait pas. Et devant les hommes nombreux dont l’âme est aveugle il a triomphé. Mais pour ceux qui…


historicus

Si tu as un sens de plus que moi, Épictète, je n’ai pas de langage pour exprimer l’objet de ton sens supplémentaire. Permets-moi donc de n’en point parler et de le nier en ce qui me concerne. L’aveugle qui nie les couleurs est un sage. Mais celui qui répète sur le blanc, le noir et le bleu les paroles des clairvoyants ressemble à la pie du cordonnier ou à l’oiseau psittacus. Quant à l’aveugle qui prétend penser par lui-même quelque chose sur les couleurs, il dit les plus ridicules sottises. Ainsi, je crois, le philosophe qui ose parler de choses divines. J’ai connu un aveugle orgueilleux qui parlait avec assurance des choses visibles. Je lui demandai un jour ce que c’était que le rouge, il me répondit : « C’est le son de la trompette. »


épictète

Il y a entre les choses de merveilleuses concordances. Et l’aveugle dont tu ris ne disait pas rien. Le son de la trompette te paraît éclatant et tu vantes aussi l’éclat d’une robe de pourpre. Nos paroles précises sur les choses divines sont, comme la définition de l’aveugle, des rêves qui signifient quelque chose, des tâtonnements qui rencontrent un instant la fuite du mystère. Mais, si l’aveugle s’était contenté de dire : « Le rouge existe comme le son de la trompette », il aurait affirmé une vérité moins pleine et plus solide. Ainsi, quand je me contente de dire : « Il y a de l’ordre dans le monde ; il y a du divin dans le monde. »


historicus

Je n’ai pas le sens du divin. Et je ne suis pas honteux de