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pas me devenir douleur, ne pas troubler l’activité spontanément joyeuse que je suis. Éviter, faim, soif ou froid, les privations qui m’arrachent aux joies de penser, de rêver, d’aimer et qui troublent mon rythme naturel, cela suffit pour que je reste une flamme continûment montante de bonheur. Ce résultat qui m’égale à tous les dieux de tous les songes, comme je l’obtiens à bon marché et avec de médiocres secours étrangers : un morceau de pain et, dans le creux de ma main, quelques gouttes d’eau. En une émotion de sécurité, j’ai regardé autour de moi. J’étais au jardin des pures et élégantes délices, et de vieux amis me souriaient : Épicure, Métrodore, Léontium.

Mais la douleur n’est pas toujours évitable et parfois la honte de la fuir me serait un trouble pire que l’effort de la soutenir. Dès que je me suis enrichi de cette inquiétude nouvelle, je me suis tourné tout entier vers la philosophie de la force défensive. Après ce coude du chemin, sur la pente dure, ma pensée, tendue et irritable comme un effort de convalescent, s’enlaidit quelque temps de je ne sais quel mépris agressif pour les hommes. Auprès de moi, Antisthène et Diogène m’encourageaient également à monter et à injurier la lâcheté d’en-bas.

Par un progrès nouveau, je me suis dépouillé de toute hostilité. Un subjectivisme plus pur m’a enseigné que seules mes actions intérieures dépendent de moi. Leur résultat me devient étranger comme la pierre que ma main a lancée et dont je ne puis plus modifier la direction. Il fait partie de ces « choses indifférentes » des anciens qu’un plus moderne appelle « les fortuits ». Le bonheur d’autrui ne peut être l’œuvre de ma violence. Ma voix a beau crier,