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ou par le sourire qui ment, sa vie est la plus instable et la plus affolée des servitudes. Je refuse d’être, sous un masque, quelque chose de plus en plus informe qu’il ronge et qui a peur. Je veux porter hardiment mon visage.

— Pourtant le surhomme !… pourtant Napoléon !…

— Plusieurs partirent pour être Napoléon, aboutirent à être Julien Sorel ; ou l’un de ces verdâtres de l’Académie que Heine compare aux cadavres de la Morgue ; ou, dans quelque sale journal, le préposé aux plus basses besognes.

— Que parles-tu de ces demi-courages, de ces demi-adresses, de ces demi-intelligences, de ces ambitions vite rassasiées, toi qui es la bravoure, la force, le cœur que rien ne remplit, et qui n’as qu’à vouloir pour devenir l’habileté… toi qui es… oui, qui es… Napoléon !

— Cesse de m’injurier, bouche naïve qui crois me louer… Napoléon ?… Si tu t’imagines m’éblouir… Cette destinée me serait accessible, je la repousserais comme le pire des cauchemars. Comment est-il mort, ton Napoléon, dans quelle solitude, dans quelle impuissance, dans quelle rage de désespoir ?…

— Mais avant !… Regarde.

— Je regarde. Je vois une vie d’extériorités lourdement brillantes et, au centre, la continuité d’un bâillement. Esclavage sans trêve, cabotinage sans repos, l’effort de plaire, l’effort de tromper, l’effort de reconstruire mille fois la victoire qui toujours s’écroule, l’effort agonisant de limiter et de chicaner la défaite. Accumulation de toutes les laideurs et de toutes les rancœurs. Plutôt être l’esclave d’un maître qu’être le maître, cet esclave de tous les hommes et de toutes les choses.

— Et la gloire, la comptes-tu pour rien ?