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vante unité de son existence. Pas de patrie : or la patrie aurait discipliné par les devoirs positifs qu’elle impose le vagabondage de cet esprit subtil. Pas de famille, pas d’intérieur… » J’avais l’intention cruelle de répéter jusqu’à la fin l’éloquente période ; un bâillement irrésistible — et dont je vous demande bien pardon, mesdames et messieurs — m’a heureusement interrompu.

Mlle Mélégari ne connaît, elle, ni le bâillement ni le sourire. Elle n’éprouve jamais le besoin de baisser le ton et conte du même accent oratoire et gris, avec la même solennité lente, les plus graves événements et les incidents les plus menus. Elle parle, égale, austère et infatigable, jusqu’à ce que le lecteur édifié médite longuement sur cette religieuse phrase finale : « Dans le monde supérieur où il est parvenu, il lui a été sans doute tenu compte de ce désir du bien qui, durant plus d’un demi-siècle, a tourmenté sa vie et ennobli ses faiblesses. » Je regrette d’ignorer également la musique et l’hymne suisse et de ne pouvoir me jouer quelques mesures après ce beau discours de distribution des prix.

Tous les pédantismes, cette rèche Mélégari les a. Comme les rois, les gardes champêtres et les professeurs de philosophie, elle sait que le moi est haïssable et elle dit toujours nous. Elle ne perd pas une occasion de citer. Elle aime les grands mots abstraits et parvient à prononcer les plus difficiles : elle regrette que des en-