Page:Ryner - L’Homme-fourmi, Figuière.djvu/96

Cette page n’a pas encore été corrigée

Je parviens à revoir — vraiment blanche et noire maintenant — la double procession. Je ne réussis pas à sentir tout ce que les fourmis disaient à mon antenne ni même à entendre tout ce que les femmes chuchotaient ou criaient à mon tibia.

Voici seulement, en langage abstrait, ce que je puis repenser.

L’angoisse, noire à gauche, blanche à droite, me disait : « On va t’enterrer vivante ! » Et une longue théorie de veuves et de nymphes me détaillait cette horreur.

La consolation me répondait : « Les fourmis n’enterrent pas leurs compagnes. Elles laissent les cadavres se dessécher à l’air libre. Regarde. Rien n’empêcherait ta voisine, si elle ressuscitait, de se remettre d’aplomb sur ses pattes et de revenir au nid ». Des blondes vêtues de blanc chassaient devant elles le troupeau des brunes endeuillées, et des fourmis délicieusement noires bousculaient dans un trou les horribles nymphes blanches. Et blondes heureuses et fourmis gaies et actives disaient à mes deux pensées chacune des joies convalescentes et attendries de ma prochaine résurrection.

Mais les veuves écrasantes et les nymphes spectrales revenaient, de nouveau victorieuses. Elles répliquaient aux contradictrices disparues que la paralysie du cercueil et l’étouffement de la terre seraient bien superflues pour me tuer. L’abandon