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profondeur douloureuse inconnue. Le drame doit approcher du dénouement.

Je suis toujours paralysée, les membres épars, comme en morceaux, sans articulations, sans communication entre eux ni avec ma vague volonté. Mais mes yeux voient comme à l’ordinaire, et mon intelligence devient aussi nette et pénétrante que jamais. J’observe, dans quelle angoisse !…

On me pose à terre, couchée sur le dos. Je suis à l’extrémité d’une rangée de fourmis immobiles, étendues aussi sur le dos, — des mortes assurément. Derrière moi, d’autres rangées de cadavres.

Je sens que mes compagnes vont s’éloigner. La cérémonie est finie. Je vais rester là, abandonnée, au bout de cette ligne rigide, seule vivante dans ce cimetière, immobile de faiblesse et d’agonie au milieu de l’immobilité des mortes.

Des pensées se pressent en moi, innombrables, marchent comme une rapide procession sur deux rangs. Car chacune est double : pensée d’homme à gauche ; et, à droite, pensée de fourmi.

Ce que j’essaie de dire à duré, probablement, quelques secondes. Mais pour me répéter le peu qui me reste exprimable dans ce que j’ai vu et pensé nettement en ces quelques secondes, il me faudrait des heures.

Mes pensées de fourmi sont des fourmis, mes pensées d’homme sont des femmes. Les antennes des fourmis s’adressent à mon antenne droite ; les