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moi qui, d’un soin délicat, dégageai tes antennes et qui déliai tes palpes et tes pattes. C’est moi qui débarassai ton abdomen de son enveloppe et qui découvris la rare beauté de ton pétiole. Ta première nourriture te vint de mon jabot. Je t’appris les attouchements qui disent nos pensées et les bruits qui chantent nos émois. Je surveillai tes premiers pas hésitants et j’enseignai à tes antennes tâtonnantes les sentiers et les labyrinthes de notre ville.

Ses antennes s’arrêtèrent un instant comme écrasées sous un fardeau d’émotions. Puis elles reprirent, caressantes d’abord, mais bientôt tristes et presque indignées :

— Tu te rappelles certainement ces derniers soins, ma fille chérie. Jusqu’ici je t’avais toujours vue reconnaissante et digne de mon amour. Seulement, je ne sais quelle folie vient de passer sur toi. J’ai eu cet étonnement, hier, de te sentir me demander mon nom. Ce matin, tu fus d’abord affectueuse et charmante. Mais voici que, par je ne sais quelle aberration, par je ne sais quelle perversité sans exemple, ton amour s’est déformé en un vil désir sensuel qui, heureusement, ne peut avoir aucune réalisation. Voici que je t’ai vu le délire ignoble d’un mâle et que toi, noble ouvrière sans ailes, tu as été touchée par la folie des ailes.

Ses maternelles gronderies durèrent longtemps. Je sentis à quel point j’avais offensé cette précieuse