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le baiser, qui ignoreront les douceurs familiales. Voici que commence entre vous – êtres indigents ! — une de ces pauvres amitiés particulières dont deux nonnes impuissantes essaient de se consoler et dont la communauté a la sottise d’être jalouse ».

Je voulus chasser l’insolent. Je lui répliquai : « Oses-tu bien te prévaloir, comme d’un rare bonheur, de l’infâme besoin qui t’apporta, en échange de quelques misérables plaisirs physiques, tant de peines morales ! » Et, en un orgueil qui se révolte, mes antennes gesticulèrent les noms des sens qu’il n’avait pas, lui ; les noms des joies puissantes que toujours il ignorerait, lui.

Il ne comprenait point et il me répétait, sourd obstiné : « Tu as perdu l’amour ! Tu as perdu l’amour ! » Même il se permit une grossière injure historique et. après m’avoir appelé plusieurs fois avec mépris « mâle devenu neutre », il me cria enfin — au moment où je parvenais à le renverser, à le faire dégringoler hors de ma conscience : — « Abélard ! ».

Et, comme j’exprimerais aujourd’hui ma tristesse par un sourire navré, ou par un geste accablé des bras qui retombent, ou par un de ces hochements de tête qui semblent nier tout bonheur, voici que ma peine m’arracha une longue stridulation angoissée et angoissante, tel l’interminable et déchirant sanglot d’un violon.