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trante et toujours — oui, ce mot balbutie une lointaine vérité — toujours généralisatrice, m’incitait aussi à penser au grand philosophe. Chaque fois que ma pensée de fourmi, ma pensée de droite, frémissait les trois attouchements forts et l’attouchement faible, ma pensée gauche prononçait les trois syllabes sonores et la syllabe muette : Aristote. Et aussitôt je me voyais homme, parce que ce nom appliqué à une fourmi me donnait envie de rire, et que la fourmi ne peut pas rire.

En racontant ma première rencontre avec la fourmi Aristote, j’ai dit qu’elle m’adressa un reproche affectueux et comme « souriant ». Je voudrais expliquer ce qui fut ici l’analogue d’un sourire fraternel.

L’homme a plusieurs langages. Il a la parole, langage analytique, langage pratique, langage de la pensée ; la parole qui exprime tout ce dont il a une conscience précise. Et il a le sourire, l’attitude, le geste, le serrement de main, le baiser ; il a les mouvements et les attouchements qui disent des spontanéités et des mystères, du profond et du non analysable.

La fourmi a aussi — à côté du langage antennal et analytique qui dit l’esprit — des moyens de bégayer son âme. Ses antennes peuvent, comme notre parole, dire : Je t’aime. Mais ses sympathies s’expriment de façon moins volontaire et plus