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mobile et noble du cou. De l’autre côté du thorax, après le pétiole, cou plus élégant, se dessinait, faisant contrepoids à la tête, l’ovale régulier de l’abdomen.

La grâce longue et puissante des membres, le mouvement harmonieux des six pattes, me pénétrait aussi d’une volupté qui ne me vint jamais de la plus belle démarche féminine. Si Virgile avait pu voir ce que je voyais, il eût ensuite méprisé, comme lourds, les pas révélateurs de déesses et la course envolée de sa Camille.

Je contemplais surtout la tête : la beauté rayonnante et fascinatrice des yeux aux cent facettes ; la beauté aussi des antennes, longues herbes toujours agitées au vent de la pensée. Le nombreux rayonnement immobile faisait les physionomies profondes comme des puits de ciel. Et le mouvement continuel des antennes, tantôt lent et grave comme une méditation, tantôt rapide comme un geste de combat,leur donnait l’expression et l’éloquence.

Or je fis un retour orgueilleux sur moi-même. Après m’être dit bien des fois, enthousiaste : « Comme elles sont belles ! » je songeai, radieux : « Comme je dois être belle ! »

Je me cachai dans un paradis écarté, au milieu de la petite forêt que formait un plant de pâquerette, et je me mis à étudier, glorieuse, le corps merveilleux qui était mon corps.