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mouvements. Ah ! le merveilleux ballet qu’était la nature en ce matin du 12 avril.

Et les parfums n’étaient-ils pas aussi des rythmes chantants et dansants, des bouquets d’ondulations et de mélodies ? Il me semblait les voir flotter et je croyais les écouter aussi, les aspirer comme une musique plus pénétrante peut-être que l’autre. Certes, je ne pouvais supporter les senteurs aimées des hommes, senteurs lourdes et blessantes comme des massues. Tout à l’heure, penchée sur sa tige comme une fille à sa fenêtre, une violette m’avait fait fuir par la brutalité de son arôme autant que par sa couleur agressive. Mais les vrais parfums, les parfums délicats qu’ignoreront toujours vos gros organes, me grisaient jusqu’à l’énervement.

Certaines émanations que vous connaissez et que vous n’aimez point m’étaient des cordiaux et des rafraîchissements. Un courage me venait de l’odeur de chacune de mes compagnes.

Mais la joie de cette journée est bien impossible à dire. Il me semble que j’ai fait un rêve de paradis. J’en retrouve, inexprimables d’informes débris. Je me rappelle, vagues, les voluptés de mes regards, les voluptés de mon odorat, mes voluptés musicales, parce que j’ai encore des organes qui peuvent goûter des plaisirs analogues, bien lointains, certes, de ceux dont j’ai joui, capables pourtant, sourds échos de voix éloquentes, de les rappeler