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et méchantes. Sur mon cerveau, plate-forme douloureuse, à droite une fourmi m’apparaissait gracieuse et noble ; ma pensée de gauche — si lourde ! si grossière ! — était un homme dressé de toute sa hauteur, le regard lointain, et dont les deux pieds pesaient sur une moitié de ma têie, me faisaient pencher de ce côté, presque tomber.

Les deux images, les deux pensées, n’étaient en pleine conscience que le temps d’un éclair. Je crois que je serais mort si ce déchirement avait duré. Bientôt les deux ennemis s’atténuaient, devenaient des fantômes flottants, disparaissaient. De leur présence de tout à l’heure, nulle trace lumineuse. De leur prochain retour, nulle menace précise. Rien que la vague douleur médiane, l’étourdissement de toute la tête, l’écrasement du côté gauche.

Puis mes deux bourreaux reparaissaient, non plus adversaires hypocrites qui dissimulent leur lutte, mais querelleurs et criards ennemis qui se battent sans souci du spectateur. L’homme, d’un mouvement du pied qui creusait tout le long de mon cerveau de douloureux sillons, poussait la fourmi, la faisait tomber à droite, où elle s’agriffait désespérée. Après, pendant quelque temps, je pensais en homme, je dressais péniblement de branlantes architectures de souvenirs.

Plus souvent la fourmi injuriait l’homme. Les antennes s’adressaient à deux poils de l’orteil, et leur indignation criait en quelque sorte. « Va-t-en,