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les sensations de l’homme, ne saurait être balbutié par aucun mot humain, ne saurait même être repensé par mon esprit redevenu exclusivement humain.

Comment bégayer ce que devint pour moi, en cette minute d’agonie, l’univers coloré ? Toutes les nuances étaient nouvelles, sans nom, sans rapport avec aucun souvenir. Pour vous en dire quelque chose, je suis obligé de supprimer précisément leur nouveauté terrassante, de donner dès maintenant et à la fois des explications familiarisantes que j’ai eues beaucoup plus tard, peu à peu. Il me faut détruire, par des analyses dont j’étais bien incapable en ce moment, la synthèse folle qui m’écrasait de tous côtés comme un formidable étau enveloppant et fait sur mesure. Des observations innombrables me l’ont appris depuis : mes yeux de fourmi ignoraient deux des couleurs humaines. Les cheveux noirs de la fée et ses vêtements jaunes formèrent pour mon goût d’homme une harmonie agréable. À présent, les vêtements étaient noirs comme les cheveux. Et ce noir n’était aucun des noirs que vous connaissez. Du même noir encore, plus brillant et plus vibrant que ce que vous appelez noir, étaient les herbes tout à l’heure d’un vert tendre. Et la lumière blanche, à laquelle manquaient les rayons jaunes et les rayons verts et qu’illuminaient des rayons inconnus, n’était pas blanche à mes yeux nouveaux.