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IV

II semble que la secousse d’une telle métamorphose devait laisser un durable souvenir. Il n’en est rien. J’étais homme l’instant auparavant. Maintenant je ne l’étais plus. Mais il n’y avait pas eu de transition, pas de passage aperçu, pas de point intermédiaire auquel la mémoire pût se raccrocher. Et je me souviens seulement de cette pensée, ou plutôt de cette stupeur :

— Tiens, c’est vrai, je suis fourmi.

Je m’étonnai beaucoup moins en songeant :

— Tiens, c’est vrai, c’était une fée.

Mais voici. D’autres effarements, d’autres affolements plutôt, entraient par mes yeux, entraient… j’allais dire : par mes oreilles ; mais je n’avais plus d’oreilles. Je voulus fuir, me réfugier sous terre, dans la fourmilière, ne plus voir, ne plus entendre tout cet impossible. En vain je courus au bout de la baguette, essayai de me laisser tomber sur le vêtement de la fée, pour descendre par le plus court aux souterrains sourds et aveugles où ma folie s’apaiserait, s’endormirait. Une force invincible