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des larves, deux pondeuses. J’ai porté le tout à Hannibal et à Aristote. Pour que mes douze protégées aient le temps d’élever cette nombreuse famille, je leur porte dans le cratère des grains qui les dispensent de toute moisson. Je suis fier de repeupler ma ville.

Je reste des heures à contempler mes compatriotes, à me désoler d’être exilé par ma taille. Quelquefois je saisis une fourmi, j’étudie ses antennes frémissantes, ses yeux, intelligences rayonnant dans toutes les directions, et la puissance rapide de ses mouvements. Et, aussi absurde que si je me courbais pour entrer chez elle, je baisse la voix, ma voix grossière qui peut pénétrer son ouïe comme le chameau de l’Evangile passer par le trou de l’aiguille. Je l’interroge : « Oui es-tu ? Es-tu mon amie Aristote ? Comprends-tu ce que je fais pour vous, et m’en es-tu reconnaissante ? »

Elle, ne me distingue pas d’une autre montagne qui marche sur deux pieds. Elle s’agite, affolée de n’être point libre, tremblant d’être écrasée. Je la laisse partir ; je la suis d’un long regard nostalgique. Je ne puis plus lui faire connaître mes pensées ni connaître les siennes. Jamais elle n’ententendra ma voix. Et le mouvement de ses antennes m’est obscur comme des caractères chinois que, devant mes yeux ignorants, un doigt de mandarin dessinerait dans l’air.