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que les enfants assouvissent sur les animaux. Notre maître était-il un Néron, sans empire et qui, puérilisé par son impuissance envers ses semblables, trompait sur de pauvres insectes sa faim de torturer ?

Or, voici que, dans la ville fermée, on se mit à mourir. Ce fut d’abord un cadavre, puis deux cadavres, puis, le soir même, dix cadavres peut-être. La présence des morts dans l’habitation est insupportable à la fourmi. Nous nous irritions à songer que nous ne pourrions nous délivrer de ces immobilités créatrices de fantômes. Non seulement nous ne pourrions les porter, pieuses, dans un cimetière bien tenu, mais nous ne pourrions les jeter hors de la ville.

Certaines anxiétés grandissent, rapides, jusqu’à la folie, poussent à des gestes de folie. Ces corps, dont nous savions trop que nous ne pourrions nous débarrasser, nous les saisissions, les promenions interminablement autour de notre prison. Quand la fatigue nous forçait à les abandonner, d’autres les reprenaient, aussitôt à terre, et continuaient la promenade funèbre. Une force étrange nous empêchait de les laisser étendus sur le sol. C’eût été là, nous semblait-il, une acceptation définitive des effroyables présences : à la seule idée de ce consentement, des fureurs et des terreurs nous soulevaient. Chargées du fardeau macabre,