Page:Ryner - L’Homme-fourmi, Figuière.djvu/22

Cette page n’a pas encore été corrigée

tains visages hautains. Et elle disait, d’une voix qui chante et qui pénètre :

— Écoute, ami. Nous sommes, nous autres, des remercieuses actives ; nos paroles sont des attelages qui courent traînant derrière eux le bienfait. Exprime un désir, et ma puissance s’exercera en ta faveur.

La folie est contagieuse. Voici que moi, un homme raisonnable, un receveur de l’enregistrement, un docteur en droit, un économiste, je me dis un instant : « Une fée. Qui sait ? Après tout, nous ignorons tout. » Et, certes, ce ne fut qu’un éclair de démence aussitôt éteint dans l’immensité sombre d’une honte. Mais je n’eus plus le courage de m’éloigner de l’être bizarre et poétique. Je me sentis incapable de mécontenter « la reine folle ». Je consentis à faire ma partie dans son jeu, à donner ma réplique dans la féerie. Je répondis :

— Immortelle, pardonne à la grossièreté des vœux d’un mortel. J’ai déjà la santé et l’intelligence. Les femmes me trouvent beau. Que désirerais-je, sinon la fortune ?

— Qu’appelles-tu fortune ? Je précisai :

— Admire la modération d’un sage ou, tout au moins, ne méprise pas la médiocrité de mes désirs. Le petit million me suffirait.

— Tu auras ton million, affirma-t-elle.