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mandibules prêtes au combat. La longue colonne des ouvrières chargées suivait entre deux rangs de soldats. Au milieu d’eux, sur un des flancs, marchait Aristote. Mon exploit de tout à l’heure m’avait fait reconnaître, à moi aussi, un talent militaire. Et les troupes qui formaient l’arrière-garde m’avaient demandé de rester avec elles.

Nous allions dans la nuit et dans l’inconnu, ignorant si nous marchions vers une nouvelle patrie à créer ou vers la mort. Souvent on s’arrêtait, puur attendre le retour d’éclaireurs lancés dans toutes les directions. Toujours ils revenaient annoncer que des fourmilières occupaient le voisinage, et nous reprenions, en détours prudents, notre marche d’angoisse. Hélas ! notre crainte devenait de plus en plus certitude : le jour viendrait avant que fût trouvé l’emplacement propice à la nouvelle cité. Le jour viendrait, brutal, éclairer pour d’autres notre misère, découvrir à des yeux ennemis, à des yeux avides, la fuite de la pauvre proie que nous étions, changer notre marche inquiète dans la peur en une marche horrible qui, vers on ne sait quoi, traverse des combats.

Il vint, en effet, le jour méchant. L’aube, — hésitant sourire d’ironie, mais qui va grandir peu à peu en rire assourdissant, en tonnerre de rires cruels, — nous surprit comme nous descendions une pente roide où, de temps en temps, un porteur à bout de forces laissait échapper, laissait