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eût trouvés ridicules seulement. Je sentais aussi vivement que tout autre combien ils étaient peu convenables dans notre monde moderne. Mais ils ne me blessaient point comme de l’inconnu : ils éveillaient en moi des souvenirs de tableaux. Et, sans doute, je les aurais trouvés ingénieusement beaux si, au lieu de courir les champs, ils s’étaient manifestés dans un bal travesti.

De cette harmonie noble, qui eût été un charme sans sa blessante inopportunité, émanait un parfum délicieux et sans analogue. J’en donnerai une idée bien fausse et bien grossière en le comparant à quelque mélange de thym et de lavande qu’on aurait atténué par je ne sais quel moyen, rendu léger, discret et a la fois plus pénétrant.

La femme qui portait cette atmosphère caressante et ces étoffes emphatiques était belle, mais d’une de ces beautés déroutantes, inutiles, qui n’éveillent point le désir. Elle était trop grande, aussi grande que la Vierge assise par le Vinci sur les genoux de sainte Anne et dont la taille excessive est blâmée par la plupart des critiques autorisés. Le défaut choquait d’autant plus qu’elle se tenait debout, la tête raide, en une fierté. Ses longs et fins cheveux se déroulaient librement, recouvraient les épaules comme d’un camail noir et se mariaient avec le jaune de la robe en une harmonie agréable. Le visage ressemblait beaucoup à celui de la Vierge de Léonard dont je parlais