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de honte et de douleur. Je voulais mourir et, avant de mourir, tuer, tuer, tuer ! J’allais comme une furie, portant partout le désordre et la fuite, ne pouvant saisir qu’à la course les chairs vivantes dont je faisais des chairs mortes. J’eus quelques minutes d’absolue folie, où je ne sus plus où j’étais, qui j’étais, ce que je faisais ; où je ne fus plus qu’un besoin de détruire, incapable de distinguer amis et ennemis. Sur tout ce qui passait près de moi, je me jetais indifféremment, équitablement furieuse comme la mort. Il paraît que je tuai cinq ou six compatriotes. Des antennes, avec un mélange d’indulgence et de rudesse, m’avertissaient :

— Prends donc garde où tu frappes. Tu viens encore de tuer une des nôtres !

Sans rien écouter, je me précipitais sur la conseilleuse, puisque c’était une vie que je pouvais saisir et détruire. Mes mandibules l’écrasaient et c’est un long moment après que le sens de ses paroles arrivait, vague encore, jusqu’à mon cerveau.

Enfin, sept ou huit de mes compatriotes se jetèrent sur moi, immobilisèrent mes pattes et mes mandibules ; et cependant, sur l’être un peu calmé par l’immobilité, des antennes frappaient d’énergiques reproches. On me lâcha de nouveau sur l’ennemi quand j’eus repris conscience de la situation.