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Notre colère se soulagea un peu au supplice des prisonniers. Nous y goûtions des joies infâmes et profondes. L’une de nous sciait lentement avec ses mandibules une antenne de la pauvre captive ; une autre s’éjouissait à couper une patte ; une troisième, à petites secousses répétées, arrachait une palpe. Quand la suppliciée était privée de tous ses membres, souvent on avait la cruauté de ne point l’achever, de la laisser mourir en un long désespoir immobile ; mais on venait de temps en temps contempler les yeux d’angoisse, s’y enfoncer comme en un bain de joie, ou, d’un léger coup de mandibules, faire frissonner l’apparent sommeil.

Cette nuit-là, je ne me couchai point. Après avoir pris ma part du meurtre des prisonniers, j’errai longtemps sur le champ de bataille abandonné. J’y fus témoin d’un spectacle répugnant. De petites fourmis d’une espèce inconnue — celles, sans doute, que mes livres appellent myrmica sca-brinodis —.couraient d’un cadavre à l’autre, comme, après un combat d’hommes, des détrousseurs. J’observai quelque temps leur manège, sans comprendre. Enfin je m’approchai avec précaution d’un corps auprès duquel un groupe s’était arrêté. Horreur ! l’enveloppe chitineuse qui fait à la fourmi comme un squelette extérieur était ouverte et la chair, dévorée.

Je ne pus me contenir. Sans me demander à quels effroyables dangers je courais peut-être, je