Page:Ryner - L’Homme-fourmi, Figuière.djvu/171

Cette page n’a pas encore été corrigée

d’agressif. On heurtait des fourmis qui, — comme des soldats hommes fourbiraient leurs armes — avaient entre les dents un grain de blé dur auquel elles aiguisaient leurs mandibules. D’autres faisaient la toilette de leur aiguillon. Une folie guerrière soulevait puissamment la cité.

D’abord mon affaiblissement, mon dégoût de tout, puisque le seul bien désiré me serait toujours inabordable, ma maladive indifférence m’avaient défendue contre la folie commune. Mais peu à peu je subis la contagion. J’eus beaucoup de peine à m’endormir et des songes meurtriers pesèrent sur mon sommeil.

Je ne conterai pas les scènes de carnage de ces trois jours de guerre, de ces trois grandes batailles rangées. J’ai un peu honte pour les fourmis de les voir s’abaisser si souvent à l’ignominie de tuer. Je suis fier d’avoir trouvé parmi elles des génies universels ; mais j’aime mieux les revoir appliquées à des travaux d’ingénieurs, réalisant des rêves d’Ar-chimède, que dans les heures où leur puissance intellectuelle, dirigée par un, instinct bestial humain, en faisait des Alexandre et des Napoléon.

Les deux armées étaient maniées par des généraux de premier ordre. Je me rappelle que, chaqui ; soir, après le combat, nous disions, avec une admiration glorieuse, les ruses d’Aristote, avec une admiration haineuse, les stratagèmes de l’ennemi. Nous l’avions vu tout le jour, au milieu du mouvement