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amorti pour la détente brusque de la fureur, c’est que ma mélancolie était tendre et affaissée, et musicalement larmoyante.

Par bonheur, une grande guerre m’arracha de la tristesse déprimante qui, pierre tombale insensiblement alourdie, m’écrasait.

L’ne armée errante d’aphœnogaster barbara vint s’établir sur notre territoire. Ces insolentes creusèrent leur nid et dressèrent la menace de leur cratère, à vingt mètres environ de notre cité, coupant en deux la plus large de nos routes, nous isolant du grand champ dont les hommes, chaque année, nous disputaient la récolte et qui fournissait à lui seul la moitié de nos ressources. Et l’arbre précieux qui abritait nos chers pucerons conquis sur les lasius était voisin de l’inquiétante colonie.

Nous ne pouvions consentir à cet appauvrissement et à ce danger continuel ; nous ne pouvions subir cette injure. L’extermination des envahisseuses fut résolue. La guerre commencerait le lendemain au point du jour.

Notre fourmilière n’était que frémissement et agitation. Partout on rencontrait des êtres de fièvre ; les antennes étaient des panaches menaçants ; les têtes se dressaient comme des indignations, les palpes tremblaient comme des colères ; le mouvement des pattes qui marchaient rapides avait je ne sais quoi de hardi bousculeur et