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XXV

Ma vie fut longtemps torturée par cette honteuse folie. Je souffrais auprès de Marie : sa présence me faisait sentir plus vivement la privation de l’amour et du baiser. Pourtant, dès que j’essayais de m’éloigner, un lien douloureux me tirait les nerfs vers le lieu où marchait en pondant cette lourde brute.

Elle était abêtie encore. Il semblait qu’en perdant ses ailes elle eût perdu tout ce qui n’était pas faculté de digérer et faculté de pondre. Ses antennes n’essayaient même plus de balbutier de vagues réponses. Dans ses yeux amortis, je croyais voir passer comme une ronde stupide de terreurs et de reconnaissances : elle attendait, inerte, que je lui donne à manger ou que je la batte.

Aucun remède ne soulageait mon mal. Je regardais longtemps son abdomen déformé par la ponte continuelle, longtemps les quatre moignons de son thorax, longtemps son allure maladroite. Ma pensée gauche me disait : « C’est une oie ! » Ma pensée droite reprenait : « C’est un monstre de laideur