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que les miens, suivent encore d’un long regard nostalgique l’essor pour moi disparu.

Mais il est trop tard. Elle ne partira point, ne se livrera pas seule aux vents ennemis. Elle reste, attendant. Un mâle s’avance, précédé de musiques d’amour. Elle oublie les autres, elle oublie presque le ciel lointain et, sur le sol, en un mélange de tristesse et de joie, se laisse aimer.

Deux autres couples sont là, tout près, qui se fécondent aussi. Aristote se montre enthousiaste :

— Trois pondeuses de plus ï me dit-elle. Le nombre des mères doublé ! Nous sommes une heureuse fourmilière.

Je ne lui réponds pas. En cet instant, mon âme, toute convoitise, est âprement tendue vers le baiser subi par Marie. Dès que le mâle s’écarte, titubant de faiblesse, titubant d’une joie ivre qui se prolonge, je me jette sur lui, et mes mandibules d’amoureux impuissant broient, joyeuses et furieuses, la tête élégante.

Rapide, j’abandonne cette agonie pour me jeter sur la bien-aimée. J’arrache brutalement ses ailes, je la pousse dans le nid, je la bouscule dans un coin écarté où nul ne puisse voir ma folie. Là, tandis que mes antennes disent amour et disent haine, tandis que mes cimbales chantent des fureurs et des désirs, je la tiens, je la presse contre moi, en une ardente, en une décevante étreinte…