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souvenirs, nous les poursuivons, âprement joyeuses, dans toutes les retraites où la peur les disperse. La fourmilière est un piège immense où l’on tue partout, dans les galeries étroites, dans les salles vastes, dans les carrefours, dans les impasses. Des étrangères se cachent derrière les grains, stupides, comme s’il ne faisait pas nuit, comme si leur odeur de proie à moitié pourrie déjà n’était pas le seul guide de notre chasse impitoyable. D’autres fuient, fuient toujours devant notre poursuite qui ne se fatigue point, se précipitent jusque dans la partie inondée de la ville, n’échappent à nos mandibules que pour mourir enlisées en une boue épaisse. Une heure après notre entrée, il ne restait plus une seule rufibarbis.

Malgré le succès qui nous remplit d’orgueil, nous maudissons les abominables agresseurs : beaucoup de nos camarades ont péri sous l’orage et nos pauvres enfants, larves et nymphes, dont les étrangères n’ont pris nul souci, qu’elles n’ont même pas descendus, sont noyés, là-haut, dans la première galerie.

Plusieurs jours tristes furent employés à transporter tant de cadavres au cimetière, à mettre en ordre le trésor, hélas ! bien enrichi, de la mort.

Les rufibarbis ne reçurent aucun honneur. On les jeta sur les tas de déchets, au milieu des barbes d’épis et de l’inulité vide des enveloppes de grains.