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avant que la pluie, la grêle peut-être, le couche sur le sol soudain boueux. D’ailleurs ce champ, très vaste, aux limites inconnues, ne nous appartient pas à nous seules. Les hommes le dévastent tous les ans. Il paraît qu’ils sont déjà en train de le dépouiller, là-bas, de l’autre côté. Même si l’orage va tomber plus loin, il est urgent de moissonner tout ce qu’on pourra, car demain, les affreuses montagnes qui marchent sur deux pieds seront probablement où nous sommes et, en quelques coups des immenses mandibules artificielles dont elles allongent leurs immenses pattes, abattront tous les épis.

Le soir arriva, trop tôt à notre gré. Il faisait nuit presque noire quand nous nous décidâmes au retour. J’allais avec Aristote, très en avant. Un grain médiocre me chargeait légèrement. Dès que nous arrivions au bout d’une montée, nous nous arrêtions pour nous reposer et nous nous dressions pour admirer, spectacle puissant, cette armée pacifique qui marchait, porteuse hâtée de richesses, sous les rayons amis de la lune, de plus en plus rares, de plus en plus dévorés par les nuages hostiles.

Une dernière fois, au sommet du cratère, nous avions contemplé, orgueilleuses, la grande foule en marche, lorsque, au moment de descendre, Aristote, de ses antennes soudain inquiètes, me fit une recommandation de prudence.