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XVIII

Il y avait, aux environs de notre nid, un quartier où nous allions rarement. Le sol en était peu fertile et le terrain trop accidenté y rendait tout travail pénible. Entre autres obstacles, il présentait à trois pas du cratère deux chutes à pic, quelque chose comme des marches de vingt centimètres chaque — vingt centimètres, plus de trente fois ma hauteur.

En mes heures de tristesse humaine, je me promenais quelquefois de ce côté, comme un poète mélancolique s’attarde en une lande déserte.

Un jour, j’y découvris une pièce de gibier excellente et énorme. C’était une grosse chenille. Elle était noire à mes yeux d’alors, elle serait sans doute jaune ou verte à mes yeux d’aujourd’hui.

Je ne pouvais songer à m’emparer seule de la pioie formidable. Je courus appeler des amies. Nous retrouvâmes le puissant gibier juste au pied de ces deux marches d’un escalier de géants ; au pied de ces deux marches qui, pour nous, étaient hautes comme seraient hauts, pour vous, des degrès de cinquante à soixante mètres.