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sera très long à détacher. Il vaudra mieux faire cette besogne à l’intérieur, tranquillement, à loisir, sur des épis étendus immobiles. Ici détachons l’épi tout entier. Travail rude. Je ronge la tige, au point où l’épi commence. Aristote, cependant, a pris un coin de l’épi entre ses mandibules, tenailles qui ne lâcheront point, et, s’arc-boutant sur ses pattes postérieures, elle tourne, elle tord. Elle est très adroite, Aristote ; pourtant ses pattes quelquefois me rencontrent, se crispent sur moi au lieu de se river à la plante, me soulèvent, m’arrachent de mon poste dangereux, me suspendent à demi dans des vertiges. Enfin, la tige rompt, le sommet utile et lourd tombe. Aristote a juste le temps de se garer, et j’ai failli, moi aussi, être entraînée dans la chute.

Des aides accourent. Nous emportons notre conquête, épi énorme dont les barbes, ça et là, se balancent comme des antennes trop raides.

Fatiguées par ce grand effort, nous ne revenons pas au champ. Nous nous joignons aux travailleuses du dedans. Nous épluchons notre épi, nous dégageons chaque grain de son enveloppe, comme nous dégagerions une jeune fourmi de son cocon de nymphe ; nous emmagasinons ces richesses dans un grenier bien sec. Nous transportons hors du nid l’épi vidé de tous ses trésors. Nous l’abandonnons sur un de ces amas de déchets qui font à notre ville une ceinture de collines artificielles.