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son élan la porta de nouveau devant l’ignoble grouillement rapide et joyeux. En même temps, elle fit entendre une musique haineuse. Et la haine qu’elle chantait s’adressait en ce moment à moi qui l’aimais aussi bien qu’à l’étrangère.

Elles arrivaient. Ce fut une bousculade, un fourmillement indescriptible. Elles grimpaient les unes sur les autres. Toutes voulaient leur part de la communion de haine. Chacune tirait, pinçait, tenaillait, un bout de patte, un bout d’antenne, un bout de palpe. La patiente était torturée dans tous ses membres par cette horde qui se grisait de cruauté. Aristote tenait la tête dans ses mandibules et, à petits coups heureux, lents, répétés, semblables à d’étranges baisers sadiques, elles mordillait, faisant durer la volupté.

Je ne sais quel besoin de joie me venait du spectacle de toutes ces joies, du spectacle de cette douleur. J’étais écœurée et pourtant un instinct puissant me soulevait, me portait vers l’infâme jouissance, me jetait moi aussi sur la proie à torturer.

Je n’y cédai point, mais la peur d’y céder me lança dans une fuite.

J’entrai à la fourmilière. En traversant une chambre de larves, je dis à une nourrice :

— Pourquoi se donner tant de peine à créer de la vie, quand d’autres camarades s’amusent à faire de la mort ?