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derrière, antennes tendues vers nous, elle semblait renifler l’odeur de l’étrangère-. Justement le vent lui portait cette infection. Bientôt je la vis qui marchait sur nous, suivie de toutes ses compagnes.

Fuir était impossible. Ma course alourdie eût été bien vite atteinte.

Je déposai mon fardeau, je courus à Aristote. Mes antennes dirent la vérité et expliquèrent qu’une étrangère isolée n’était pas un danger, qu’il n’y avait ici aucune raison de tuer.

Aristote ne me répondit pas. C’est à une autre que ses antennes s’adressèrent. La nouvelle fut rapidement connue de toutes et la bande s’ébranla.

Leur marche n’était pas notre marche ordinaire. Un désordre joyeux et colère pressait mes compatriotes, les jetait en avant, les unes sur les autres. Elles couraient, se dépassaient, se heurtaient, comme soulevées par une houle ivre. Chacune voulait arriver des premières, être de celles qui entoureraient la proie, qui jouiraient et joueraient de son agonie, qui auraient la volupté de voir souffrir et mourir, de faire souffrir et mourir.

Plus rapide que leur folie sanguinaire, je me jetai devant Aristote qui allait en tête. Je la suppliai d’avoir pitié. Je lui dis :

— C’est peut-être une bonne fourmi, aussi douce, aussi aimante, aussi intelligente que toi. Pense à ma douleur si on te tuait sans raison, ô ma bien-