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heureusement, une troupe de fourmis, qui étaient des étrangères. Leur odeur, que le vent m’apportait, moins infâme que l’infection humaine, avait pourtant quelque chose d’hostile ; elle irrita et effraya mon odorat, comme l’uniforme d’un régiment ennemi irrite et effraye la vue d’un soldat isolé. Je manœuvrai de mon mieux pour les éviter, pour éviter la mort, pour éviter la perte définitive de l’amour.

Mais elles furent, par mon odeur sans doute, averties du voisinage d’une proie. Elles me poursuivirent âprement, en une chasse sans merci. Je courais, haletante, me sentant perdue, entendant derrière moi les pas toujours plus rapides, toujours plus rapprochés, de l’horrible meute.

Enfin, j’aperçus, au loin, le rempart rassurant de ma fourmilière. Derrière moi le bruit menaçant cessa. La bande méchante s’était arrêtée. Devant moi, voisine, soulevant en mon âme double tous les bonheurs, une troupe de mes compatriotes.

Un courage me vint, transforma ma peur en colère. Je m’arrêtai, me retournai. Mon attitude fut un défi.

Mes amies avaient vu, avaient senti, avaient compris. Elles se rapprochèrent. Lentement, sur plusieurs lignes bien droites, la troupe ennemie avança.

J’eus un frémissement belliqueux. Je crus