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Pourquoi des remembrances de caresses douces montaient-elles lentement jusqu’à moi ? Et pourquoi aussi des souvenirs violents de baisers qui s’agitent et qui crient m’assaillaient-ils, — de brusques souvenirs de baisers qui vont mordre, qui mordent ?

Ils étaient anciens, ces baisers fougeux. Je les avais reçus dans ma petite chambre d’étudiant. Depuis des années, je les avais oubliés, les sens endormis par la calme et quotidienne régularité des caresses conjugales. Aujourd’hui, dans ma vie de fourmi neutre, ils me troublaient, nostalgiques appels vers les deux bouts de l’horizon, m’écarte-laient entre des regrets vers hier et des désirs vers demain.

J’aurais voulu, tout de suite, redevenir l’homme à l’univers si pauvre mais qui pouvait goûter l’amour, savourer le baiser plus doux que sucre de blé.

Et je m’inquiétais des dangers que me faisait courir mon dualisme intérieur. Si, l’autre jour, quand le lourdaud m’écrasa, j’étais morte tout à fait ; si mon corps de fourmi se desséchait maintenant parmi les petits cadavres noirs, sous la forêt triste du fraisier : Octave Péditant, celui qui connut baisers violents et calmes caresses, et qui aspirait à les retrouver, serait-il mort aussi ? Je frissonnais tout entier à cette idée : peut-être les dernières caresses que je devais recevoir, je les avais