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XV

Un jour, en sortant du cimetière, je marchais mélancolique. Je m’attristais à songer que je redeviendrais un homme aux sens appauvris, à l’esprit si fermé.

Depuis quelques temps, ma pensée humaine presque disparue me permettait le bonheur. Quand un souvenir m’arrivait des années précédentes, il était vague, fantômal, comme réduit en vapeur par le passage d’une vie à une autre vie. Je ne l’acceptais plus comme récent, ni même comme matériellement vrai. J’accueillais comme une poésie cet étrange rêve symbolique qui disait la multiplicité des existences et les stations étonnées de notre âme en des corps divers.

Mais la lourde maison aux cinq pauvres fenêtres, mon âme l’avait-elle habitée réellement ? J’en doutais. Y reviendrait-elle un jour ? La supposition me paraissait absurde autant qu’angoissante.

Pourquoi donc aujourd’hui le dualisme de ma pensée me déchirait-il, brutal, indéniable ? Pourquoi me revoyais-je, enfant, sur des genoux maternels ?