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le corps d’un âne ou une intelligence d’âne dans un corps d’homme ? » Nous ignorons ce que Chrysippe répondait. Répondons pour lui : « Je ne veux être ni l’un ni l’autre. Je veux être un homme complet. Je veux être, dans un corps d’homme, une vérité d’homme, une lumière et une chaleur d’homme, un cœur et une raison d’homme. »

Il faut arriver à s’harmoniser. Il faut arriver à trouver tout en soi et à tout respecter. Telle est bien la pensée des premiers Stoïciens lorsqu’ils conseillaient : « Vis harmonieusement ».

Peu importe la forme d’individualisme d’où je pars si j’arrive au sommet d’où l’on voit tout l’horizon. Pendant que je monte, je suis sur une côte ou sur l’autre ; une partie du sommet me reste cachée. Mais, par les différents sentiers sur les deux côtés, on arrive à la crête hautaine d’où se découvre tout l’horizon et toute la vaste vérité.

Même le nietzschéisme que nous semblons avoir rejeté complètement pourrait se défendre. Nous l’avons repoussé parce que historiquement alors qu’Épicure est arrivé à l’individualisme complet, alors que les grands Stoïciens et les grands cœurs sont arrivés à l’individualisme complet, Nietzsche s’est arrêté en chemin. Qui nous empêche de continuer la route négligée ? S’il n’était pas devenu fou, pour des raisons organiques, ne l’aurait-il pas continuée lui-même ? Ne serait-il pas arrivé au sommet qu’habitent Épicure et Épictète ? Peut-être, si Épicure était devenu fou à 35 ans, il ne serait pas arrivé non plus à la vérité totale, il serait resté enlisé dans les marécages et les plaisirs d’en bas. Si Épictète était mort jeune ou devenu fou, serait-il arrivé par la raison jusqu’à la vérité du cœur ? Si Tolstoï