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Cette habitude d’esprit nie l’existence d’une des fins principales de l’effort humain ; et la suprême vertu de franchise, d’acceptation courageuse de ce qui est, abandonne notre conception morale. De ce scepticisme, les mathématiques sont une réfutation constante ; car leur édifice de vérités demeure ferme et inexpugnable devant les armements du scepticisme cynique.

L’influence des mathématiques sur la vie pratique, quoique nous ne devions pas la considérer comme le but de nos recherches, peut servir de réponse à ce doute auquel l’étudiant solitaire peut toujours être sujet. Dans un monde si plein de maux et de douleurs, se retirer au fond du cloître de la contemplation, pour y jouir de délices qui, tout élevées qu’elles soient, ne sont jamais réservées qu’à un petit nombre d’élus, peut sembler un refus, quelque peu égoïste, de partager le fardeau imposé aux autres hommes par des circonstances où la justice n’a point de part. Avons-nous le droit, demande-t-on, de nous abstraire des maux présents, de ne pas aider nos frères, et de mener une vie qui, pour être ardue et austère, n’en est pas moins foncièrement confortable ? Lorsque se posent des questions de ce genre, la véritable réponse est sans doute qu’il faut bien quelqu’un pour entretenir le feu sacré, pour refléter sur chaque génération l’obsédante