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mathématiques mérite, non pas seulement d’être appris comme un devoir, mais d’être assimilé comme une portion de la pensée quotidienne et ramené plusieurs fois devant l’esprit en guise d’encouragement sans cesse renouvelé. La vie réelle est, pour la plupart des hommes, un long pis-aller, un compromis perpétuel entre l’idéal et le possible ; mais le monde de la raison pure ne connaît pas de compromis, de limitations pratiques, de barrières à l’activité créatrice qui édifie d’admirables constructions à l’aide de cette aspiration passionnée vers la perfection d’où jaillit toute œuvre grande. Loin des passions humaines, loin même des misérables phénomènes de la nature, les générations ont, petit à petit, créé un univers ordonné, où la pensée pure peut vivre comme dans sa demeure naturelle, et où l’une, au moins, de nos impulsions les plus nobles, peut fuir l’exil lugubre du monde véritable.

Mais les mathématiciens ont si peu visé à la beauté que peu de chose, dans leur œuvre, tend consciemment vers cette fin. Bien des choses, grâce à d’indestructibles instincts, qui valaient mieux que des croyances avouées, ont été façonnées par un bon goût inconscient ; mais bien des choses aussi ont été gâtées par une fausse idée de ce qui sied. La perfection propre aux mathématiques ne saurait être que là où le raisonnement est rigoureusement lo-