Page:Russell - Le Mysticisme et la Logique.djvu/46

Cette page a été validée par deux contributeurs.

la Réalité est un bien. Les deux opinions se trouvent, à la fois, chez Héraclite :

« Le Bien et le Mal sont une seule et même chose » dit-il, mais aussi : « En Dieu, tout est beau et bon et juste ; les hommes, au contraire, conçoivent certaines choses comme justes, d’autres comme injustes. » Cette double thèse se rencontre chez Spinoza, mais celui-ci emploie le mot « perfection » pour indiquer un bien qui n’est pas simplement le bien humain. « Par réalité et perfection j’entends une même chose[1] », dit-il ; mais ailleurs on trouve cette définition : « J’entends par bien ce que nous savons, de toute certitude, nous être utile[2]. » Ainsi la perfection appartient à la Réalité elle-même, mais le bien est relatif à nous et à nos besoins et disparaît devant un examen impartial. Cette distinction, à mon avis, est nécessaire si l’on veut comprendre l’aspect moral du mysticisme : il y a dans ce bas-monde un bien et un mal d’espèce particulière, qui divisent le monde des apparences en deux parties qui semblent s’opposer ; mais il y a aussi un bien mystique et plus élevé, qui appartient à la Réalité et auquel ne s’oppose aucune espèce de mal.

Il est difficile de rendre compte de cette opinion logiquement, sans reconnaître que le bien

  1. Ib. Pt. IV. Déf. I.
  2. Ib. Pt. II. Déf. VI.