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Te laisseras-tu découper en fibres, comme un roseau[1] ? »


La croyance en l’immutabilité nécessaire de l’ultime vérité est très répandue : elle a donné naissance à l’idée métaphysique de substance, et, même aujourd’hui, elle trouve le moyen de se satisfaire d’une façon entièrement illégitime par des principes scientifiques comme celui de la conservation de la masse et de l’énergie.

Il est malaisé de débrouiller les parts de vérité et d’erreur dans ce point de vue. Les arguments en faveur de l’irréalité du temps et du caractère illusoire du monde sensible doivent, à mon avis, être considérés comme fallacieux. Néanmoins, il y a une façon de voir — qu’on ressent mieux qu’on ne l’exprime — où le temps est un élément superficiel et sans importance de la réalité. Il faut reconnaître que le passé et l’avenir sont aussi réels que le présent, et une certaine libération du joug du temps est nécessaire à la pensée philosophique. L’importance du temps est plus pratique que théorique ; elle a trait plus à nos désirs qu’à la vérité. À ce qu’il me semble, en se figurant que les choses entrent dans le cours du temps, mais appartiennent à un monde qui est en dehors de celui-ci, on obtient une image du monde plus vraie que lorsque l’on

  1. Le Manasvi ; traduction Whinfield (Trübner, 1887), p. 34.