Page:Russell - Le Mysticisme et la Logique.djvu/26

Cette page a été validée par deux contributeurs.

considérable qu’il soit, ne les fait pas disparaître. L’instinct, comme les autres facultés humaines, est susceptible d’erreur — ceux qui sont faibles de raison se refusent quelquefois à l’admettre en ce qui les concerne eux-mêmes — mais tout le monde l’admet en ce qui concerne les autres. Là où l’instinct est le moins susceptible d’erreur, c’est dans la pratique, où l’opération du jugement influe sur la sélection naturelle. La bienveillance et la malveillance d’autrui, par exemple, sont souvent perçues avec une acuité extraordinaire, au travers d’apparences très bien gardées. Mais, même dans ce cas, la réserve ou la flatterie peuvent donner une fausse impression ; et dans des questions moins directement pratiques, comme celles dont traite la philosophie, des croyances très fortement instinctives sont souvent entièrement erronées, comme nous le révèle leur désaccord avec d’autres croyances aussi fermes. Ce sont ces considérations qui indiquent la nécessité du rôle synthétique de la raison : elle met nos croyances à l’épreuve de leur compatibilité et examine, dans les cas douteux, les sources d’erreur possible de part et d’autre. Il n’y a là rien qui s’oppose à l’instinct en lui-même, mais seulement à l’aveugle parti pris de ne se fier qu’à un seul aspect intéressant de l’instinct, à l’exclusion d’autres aspects plus ordinaires, mais non moins dignes de confiance.