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tant. Il n’est légitime de souffrir des considérations morales qu’une fois la vérité établie ; elles peuvent, elles doivent même, déterminer nos sentiments à l’égard de la vérité, et ordonner notre vie selon la vérité, mais non pas imposer une vérité qui les satisfasse.

Il y a chez Platon de nombreux passages — parmi ceux qui illustrent l’aspect scientifique de son esprit — où il semble s’en être parfaitement rendu compte. Le plus remarquable est celui où Socrate, jeune homme, explique à Parménide la théorie des Idées. Lorsque Socrate a fini d’expliquer qu’il y a une idée du bien, mais qu’il n’y en a pas de choses telles que du poil, de la boue, ou de la saleté, Parménide lui conseille de ne pas mépriser les choses même les plus viles et ce conseil révèle un véritable tempérament scientifique. C’est en combinant ce tempérament impartial et l’intuition mystique d’une réalité supérieure et d’un bien caché, que la philosophie pourra réaliser ses plus hautes possibilités. Et c’est parce qu’elle n’y a pas réussi jusqu’à présent, qu’une si grande partie de la philosophie idéaliste est creuse, morte et décharnée. Nos idéaux ne peuvent porter de fruits que s’ils sont fécondés par la nature ; séparés d’elle ils deviennent stériles. Mais cette fécondation ne peut s’accomplir lorsqu’il s’agit d’un idéal à qui les faits répugnent, ou qui exige d’avance que le monde soit conforme à ses désirs.