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humain à qui il faut résister et de la misère humaine qu’il faut secourir... » Alors il s’arrache aux contemplations égoïstes ; il songe qu’il y a des paysans dans les paysages et non pas seulement des paysagistes. Il ne regarde plus Turner. Il lit les économistes, les trouve absurdes dans leur satisfaction universelle, et va tenter en plein Manchester un fougueux assaut contre la théorie du « laissez faire, laissez passer... ». Il écrit sa Fors Clavigera, lettre mensuelle adressée aux travailleurs de toutes les classes, et y développe ses doctrines sociales. Mais il n’est pas de ceux qui croient avoir agi quand ils ont parlé. Il reconnaît loyalement qu’il s’est trompé en donnant des conseils au lieu de donner l’exemple. C’est alors qu’il fonde et soutient la Saint-George’s Guild ; qu’il donne à miss Octavia Hill des maisons pour l’œuvre des logements ouvriers; qu’il subventionne de tous côtés les entreprises sociales. Un jour vient où les cinq millions que lui a laissés son père ont disparu, transformés en bijoux dans les musées et en pain dans les taudis. Il prend alors ses Turner et les jette héroïquement dans le gouffre de la misère. Ceci est l’occasion d’une noble manifestation de ses admirateurs , qui se cotisent pour sauver un ou deux chefs-d’œuvre du naufrage. Ils ne sauvent pas le magnifique Napoléon de Meissonier qui ornait sa chambre et qui