Page:Ruskin et la religion de la beauté.djvu/59

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

enfin une campagne paisible, pittoresque, égayée par les collines du Kent, et vous trouvez entre autres maisons, parmi des champs de choux et de roses — les roses qu’on voit sur la couverture des brochures de Ruskin, — un petit cottage appartenant à M. Allen. Dans ce petit cottage il y a pour 700 000 francs de volumes diversement reliés et une famille tout entière occupée à les cataloguer et à les expédier à ceux qui sont curieux de les lire. Ce sont là des amis, des admirateurs, des disciples du grand écrivain. Pas d’éditeur, pas de courtiers de librairie, pas d’intermédiaires. Les mêmes mains qui emballent les livres, écrivent des traités sur la doctrine du maître ou gravent ses dessins. Lorsqu’il y a vingt ans, l’auteur de Sésame et les Lys décida d’être son propre éditeur et inaugura cette étrange industrie de village, en plein champ, tous les libraires crurent à un désastre proche et inévitable. Ruskin les railla ainsi : « Sans doute je pourrais tirer de mes livres quelque argent si je me résignais à corrompre les critiques des revues, à payer la moitié de ce que je gagne aux libraires, à coller des affiches sur les réverbères et à ne rien dire qui déplaise à l’évêque de Peterborough ». Et aujourd’hui le succès commercial parle assez en faveur de sa conception nouvelle. On calcule qu’en neuf ans seulement, un