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Nous allons essayer, s’écrie Ruskin, de rendre quelque petit coin de notre territoire anglais beau, paisible et fécond. Nous n’y aurons pas d’engin à vapeur, ni de chemins de fer ; nous n’y aurons pas de créatures sans volonté ou sans pensée ; il n’y aura là de malheureux que les malades, et d’oisifs que les morts. Nous n’y proclamerons pas la liberté, mais une obéissance instante à la loi reconnue et aux personnes désignées, ni l’égalité, mais la mise en lumière de toute supériorité que nous pourrons trouver et la réprobation de chaque infériorité. Lorsque nous aurons besoin d’aller quelque part, nous irons tranquillement et sûrement, non à raison de 60 milles à l’heure au risque de nos vies ; lorsque nous aurons besoin de transporter quelque chose, nous le porterons sur le dos de nos bêtes ou sur le nôtre, ou dans des charrettes ou des bateaux. Nous aurons abondance de fleurs et de légumes dans nos jardins, quantité de blé et d’herbe dans nos champs, et peu de briques. Nous aurons un peu de musique et de poésie ; les enfants apprendront à danser et à chanter dans ce coin de territoire, peut-être quelques vieilles gens pourront le faire aussi, en temps voulu.... Peu à peu quelque art ou quelque imagination supérieure pourront se manifester parmi nous et de faibles rayons de science luire pour nous. De la botanique, quoique nous soyons trop timides pour discuter la naissance des fleurs — et de l’histoire, quoique trop simples pour révoquer en doute la nativité de l’homme ; qui sait ! Peut-être même une sagesse, sans calcul et sans convoitise, comme celle de Mages naïfs, présentant à cette nativité les dons de l’or et de l’encens.

C’est en mai 1871, durant les jours de la Commune, que Ruskin fît ce rêve. Quelque temps après, il fondait la Saint George’s Guild pour le réaliser.